Chétif au pays des merveilles.


Dans Berlin, il y a bien.


Si ça s'appelait Gerline, on y trouverait neige. Berlin aurait dû s'appeler Gerline le weekend dernier. De la Wannsee à Prenzlauer Berg en passant par Kreuzberg et Alexander Platz, un froid et un vent à vous geler la vue. Depuis la première fois en 2001, je n'ai jamais vu Berlin au dessus des cinq degrés, malédiction. Les hipsters à vélo, le visage mauve, font comme si c'était cool. Heureusement pour nous, les jeunes mariés pour lesquels nous étions là debout dans l'herbe face au lac, champagne dans verre de crystal et main de glace, n'étaient vêtus ni d'une chemise à carreaux en flanelle, ni d'une doudoune sans manche. Dentro! a crié la frileuse italienne, et nous sommes rentrés en courant nous réchauffer avec l'alcool. De retour à Rennes, le chauffage est coupé et je vous écris par dix degrés, les mains gantées sur le clavier.

Je passe de l'aigle au coq, et j'ai même envie de passer du coq au cochon.


Car, planqué sous la couette, j'ai enfin pu ouvrir Silence dans les champs. Une enquête de plusieurs années sur l'omerta agro-alimentaire bretonne. La loi du silence sicilienne de la mafia bigouden, des porcs du porc, du cartel des jambons (véritable nom d'une enquête pour entente illégale entre industriels bretons, classée sans suite par l'Etat après des menaces de licenciements en cas de procès), des tueurs en série bourreaux de milliers d'animaux et de centaines de paysans, de l'emprise d'un empire féodal au service du capitalisme. Landerneau, Lampaul-Guimiliau, Keraliou, Landunvez, Morlaix, Rennes, toutes ces villes de mes belles origines qui forment depuis longtemps avant ma naissance les rouages d'une chaine bien huilé qui détruit tout, les hommes, les animaux, la nature. Mon roman à côté est un conte pour enfant, pourtant j'ai essayé d'être réaliste. Mais la réalité est toujours plus cruelle : on a grandi dans un bain de sang, de fumier(s) et de pesticides où seuls survivent ceux alimentés par la pompe à fric d'un Etat complice, bien au chaud dans des villas en Floride quand le chauffage est coupé en Bretagne.

Quand je passe à autre chose, je pense au Sud, je rêve de Suède.


Esprit contradictoire et utopiste qui imagine un échappatoire dans cette cabane rouge vif, face au lac et entourée de forêts. Corps chétif assis près du poêle, à lire bien au chaud des manuels pour apprendre à pêcher, à couper du bois, à ramasser les bons champignons et les bonnes baies. Mais qui n'a pas la force de sortir dans le froid. Qui appréhende les canicules. Qui ne sait plus quoi lire, quoi croire, quoi manger, quoi penser. Qui espère que l'intelligence artificielle remplacera son infime intelligence, qu'il puisse enfin baigner dans l'ignorance et dans un rayon de soleil, assis au printemps sur sa chaise à bascule, sous le porche de sa maison imaginaire, dans un autre, encore un autre, pays des merveilles.